domingo, 17 de janeiro de 2010

MEMOIRES DE CASANOVA




Orage favorable


Mon affliction était si grande que je devais ou la sauter à pieds joints, ou partir. Ce qui me donna un puissant élan fut la figure, et encore plus le caractère tout à fait nouveau pour moi de la nouvelle mariée. Sa sœur était plus jolie, mais une novice commençait à m’alarmer : j’y voyais trop de besogne.

Cette nouvelle mariée, âgée de dix-neuf à vingt ans, attirait l’attention de toute la compagnie par ses manières empruntées. Parleuse, la mémoire farcie de maximes, souvent à perdre de vue, et dont elle croyait devoir faire parade, dévote et amoureuse de son mari jusqu’à ne point cacher la peine qu’elle éprouvait à table lorsque assis en face de sa sœur, il s’en montrait enchanté, elle prêtait beaucoup au comique. Son mari était un étourdi qui peut-être aimait beaucoup sa femme, mais qui, par bon ton, croyait se devoir montrer indifférent. et qui, par vanité, trouvait plaisir à lui donner des motifs de jalousie. A son tour, elle avait peur de passer pour sotte en ne les relevant pas. La bonne compagnie la gênait précisément parce qu’elle voulait y paraître faite. Quand je débitais des sornettes, elle m’écoutait attentivement, et, voulant ne pas paraître bornée, elle riait hors de propos. Sa singularité, ses gaucheries et sa prétention me donnèrent envie de mieux la connaître, et je me mis à lui faire ma cour.

Mes soins grands et petits, mes attentions, mes singeries mêmes, tout fit bientôt connaître à chacun que j’avais jeté un dévolu sur elle. On en avertit publiquement le mari qui, faisant l’intrépide, avait l’air de plaisanter quand on lui disait que j’étais redoutable. De mon coté, je contrefaisais le modeste et parfois l’insouciant. Quant à lui, conséquent dans son rôle, il m’excitait à cajoler sa femme qui, à son tour, jouait for mal la disinvolta.

Il y avait cinq ou six jours que je lui faisais assidûment ma cour, quand, me promenant avec elle dans le jardin, elle eut l’imprudence de me dire les raisons de ses inquiétudes et le tort que son mari avait de lui en donner des motifs. Je lui dis avec le ton de l’amitié que le moyen le plus propre à le corriger était de ne point paraître s’apercevoir des préférences de son mari pour sa sœur, et de faire semblant d’être amoureuse de moi ; et pour mieux l’engager à suivre mes conseils, je lui dis que ce que je lui proposais était difficile, et qu’il fallait avoir beaucoup d’esprit pour jouer un rôle aussi faux. J’avais touché le point sensible, car elle m’assura qu’elle le jouerait à merveille : malgré son assurance, elle s’en acquitta si mal que tout le monde s’aperçut que le projet était de mon cru.

Quand je me trouvait seul avec elle dans les allées du jardin, sûr que nous n’étions vus de personne, et que je voulais la mettre tout de bon à son rôle, elle employait le dangereux moyen de s’enfuir, me laissant seul, et allait rejoindre ainsi la société ; de sorte que, quand je reparaissais, on ne manquait pas de m’appeler mauvais chasseur. Je ne manquais pas de lui reprocher sa fuite dès que j’en trouvais l’occasion, et de lui représenter le triomphe qu’elle préparait par là à son mari. Je louais son esprit, je déplorais son éducation ; je lui disais que le ton et les manières que je prenais avec elle étaient ceux de la bonne compagnie, et qu’elles prouvaient tout le cas que je faisais de son esprit ; mais, au milieu de mes beaux discours, le onze ou douzième jour elle me déconcerte en me disant qu’étant prêtre je devais savoir que toute liaison amoureuse était un péché mortel, que Dieu voyait tout, et qu’elle ne voulait ni se damner, ni s’exposer à dire à un confesseur qu’elle s’était oublié au point de pécher avec un prêtre. Je lui objectai que je n’était point prêtre, mais je fus terrassé lorsqu’elle me demanda si ce que je voulais entreprendre était au nombre des péchés ; car, n’ayant pas eu le courage de le nier, je sentis que je devais en finir.

La réflexion m’ayant facilement rendu calme, ma nouvelle conduite fut remarquée à table, et le vieux comte, d’un caractère plaisant, disait hautement que cela annonçait une affaire faite. Je crus la chose favorable, je dis à ma cruelle dévote que le monde en jugeait ainsi ; mais j’y perdais mon latin : le hasard me servit mieux et voici ce qui amena le dénouement de cette intrigue.

Le jour de l’Ascension nous allâmes tous faire une visite à Mme Bergali, célèbre dans le Parnasse italien. Devant retourner à Pasean le soir même, ma jolie fermière voulait se placer dans une voiture à quatre places dans laquelle était monté son mari, ainsi que sa sœur, tandis que j’étais seul dans une jolie calèche à deux roues. Je fis du bruit ; je me récriai sur cette marque de défiance, et la compagnie lui remontra qu’elle ne pouvait pas me faire cet affront. Elle vint, et ayant dit au postillon que je voulais aller par le plus court, il se sépara des autres voitures, prenant le chemin du bois de Cequini. Le ciel était beau quand nous partîmes, mais en moins d’une demi-heure il s’éleva un orage de l’espèce de ceux qu’on voit fréquemment dans le Midi, qui ont l’air de vouloir bouleverser la terre et les éléments, et qui finissent en rien, le ciel redevenant serein, l’air étant rafraîchi ; de sorte qu’ils font beaucoup plus de bien que de mal.

« Ah ! ciel ! s’écria ma fermière, nous allons essuyer un orage.

- Ouis, luis dis-je, et quoique la calèche soit couverte, la pluie abîmera votre bel habit ; j’en suis fâché.

- Patience quant à l’habit, mais je crains le tonnerre.

- Bouchez-vous les oreilles.

- Et la foudre ?

- Postillon, allons quelque part nous mettre à couvert.

- Il n’y a des maison, monsieur, qu’à une demi-lieue d’ici ; et avant que nous puissions les atteindre, l’orage sera passé. »

Il poursuit tranquillement son chemin, et voilà les éclairs qui se succèdent, la foudre qui gronde, et ma fermière qui tremble. La pluie commence à tomber à verses : j’ôte mon manteau pour nous couvrir par devant, et au même instant, éblouis par un éclair, nous voyons tomber la foudre à cent pas de nous. Les chevaux se cabrent et ma pauvre compagne est saisie de convulsions spasmodiques. Elle se jette sur moi, me serre étroitement. Je me baisse pour relever le manteau qui était tombé, et profitant de la circonstance, je la découvre. Elle fait un mouvement pour rabaisser sa robe, mais au même instant un nouveau coup de tonnerre éclate et lui ôte la force de se mouvoir. Cherchant à la couvrir de mon manteau, je l’attire à moi, et le mouvement de la voiture secondant ce mouvement, elle tombe sur moi dans la position la plus heureuse. Je ne perds pas de temps, et faisant semblant d’arranger ma montre dans mon gousset, je me prépare à l’assaut. De son coté, sentant que, si elle ne m’empêchait pas bien vite, il ne lui resterait aucun moyen de m’échapper, elle fait un effort ; mais, la retenant, je luis dis que, si elle ne faisait pas semblant d’être évanouie, le postillon verrait tout en se tournant ; et lui laissant le plaisir de m’appeler impie, mauvais sujet et tout ce qu’elle voulut, je remportait la victoire la plus complète qu’athlète ait jamais remportée.

La pluie continuait à tomber par torrents, le vent qui était très-fort nous venait en face, et réduite à rester dans sa position, elle me dit que je la perdais d’honneur, puisque le postillon pouvait tout voir.

« Je le vois, lui répondis-je, il ne pense pas à se retourner ; et quand bien même, le manteau nous met à l’abri de ses regards : soyez sage et tenez-vous comme évanouie, car je ne vous lâche point. »

Elle semble se résigner et me demande comment je pouvais défier la foudre.

« Elle est d’accord avec moi, lui dis-je. » Et presque tentée de croire que je dis vrai, sa frayeur s’évanouit et, sentant mon extase, me demande si j’ai fini. Je souris et lui dis que non, puisque je voulais son consentement jusqu’à la fin de l’orage.

« Consentez, ou je laisse tomber le manteau.

- Homme affreux qui m’avez rendue malheureuse pour le reste de mes jours, êtes-vous content, à présent ?

- Non.

- Que voulez-vous encore ?

- Un déluge de baisers.

- Que je suis malheureuse ! Eh bien ! tenez.

- Dites que vous me pardonnez, et convenez que vous avez partagé mes plaisirs.

- Vous le savez bien : oui, je vous pardonne. »

Alors, lui rendant la liberté et usant à son égard de certaines complaisances, je la priai d’en avoir pour moi de pareilles ; ce qu’elle fit avec le sourire sur les lèvres.

« Dites-moi que vous m’aimez, lui dis-je.

- Non, car vous êtes un athée et l’enfer vous attend. »

Le beau temps étant revenu et l’ordre rétabli, je lui dis en lui baisant les mains qu’elle pouvait être sûre que le postillon n’avait rien vu, et que j’était certain de l’avoir guérie de la peur du tonnerre, et qu’elle ne révélerait à personne le secret qui avait opéré sa guérison. Elle me répondit que pour le moins elle était bien sûre que jamais femme n’avait été guérie par un pareil remède.

« Cela, repris-je, doit être arrivé en mille ans un million de fois. Je vous dirai même que j’y ai compté en montant dabs la calèche, car je ne voyais pas d’autre moyen de parvenir à vous posséder. Consolez-vous, et croyez qu’il n’y a pas de femme peureuse qui, dans votre cas, eût pu résister.

- Je le crois, mais à l’avenir je ne voyagerai plus qu’avec mon mari.

- Vous ferez mal, car votre mari n’aurait pas eu l’esprit de vous consoler comme je l’ai fait.

- C’est encore vrai. On gagne avec vous de singulières connaissances : mais nous ne voyagerons plus tête à tête. »

Tout en causant de la sorte, nous arrivâmes à Pasean une heure avant les autres. Nous descendîmes, et ma belle courut s’enfermer dans sa chambre, tandis que je cherchais dans ma
bourse un écu pour le postillon. Je vis qu’il riait.

« De quoi ris-tu ? lui dis-je.

- Vous le savez bien.

- Tiens, voilà un ducat, et surtout sois discret. »


Chap. V

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