domingo, 17 de janeiro de 2010

MEMOIRES DE CASANOVA



Je deviens amoureux des deux soeurs

Après le petit souper, assis au milieu d'elles, prenant leurs mains, et leurs baisant je leur ai demandé si elles étaient mes véritables amies, et si elles approuvaient la façon indigne dont Angéla m'avait traité. Elles me répondirent d'accord que je leur avait fait verser des larmes. Laissez donc, leur dis-je, que j'ai pour vous la tendresse d'un vrai frère, et partagez-là comme ci vous étiez mes soeurs; donnons-nous-en des gages dans l'innocence de nos coeurs; embrassons-nous,et jurons nous une fidélité éternelle.

Les premiers baisers que je leur ai donnés ne sortirent ni d'un désir amoureux, ni d'un projet tendant à les séduire, et de leur côté, elles me jurèrent quelques jours après qu'elles ne me les rendirent que pour m'assurer qu'elles partageaient mes honnêtes sentiments de fraternité; mais ces baisers innocents ne tardèrent pas à devenir enflammés, et à susciter en nous trois un incendie, dont nous dûmes être fort surpris, car nous les suspendîmes nous entre-regardant après tous étonnés, et fort sérieux. Les deux soeurs bougèrent sous un prétexte, et je suis resté absorbé dans la réflexion. Ce n'est pas étonnant que le feu de ces baisers avait allumé dans mon âme, et qui serpentait dans tous mes membres m'ait rendu dans l'instant invinciblement amoureux de ces deux filles. Elles étaient toutes les deux plus jolies qu'Angéla, et Nanette par l'esprit, comme Marton par son caractère doux et naïf lui étaient infiniment supérieures: je me suis trouvé fort surpris de ne pas avoir reconnu leur mérite avant ce moment-là. Mais ces filles étaient nobles, et fort honnêtes, le hasard qui les avait mises entre mes mains ne devait pas leur devenir fatal. Je ne pouvais pas croire sans fatuité qu'elles m'aimaient; mais je pouvaient supposer que les baisers avaient fait sur elles le même effet qu'ils avaient fait sur moi. Dans cette supposition j'ai vu avec évidence qu'employant des ruses et des tournures, dont elles ne pouvaient pas connaître la force, il ne me serait pas difficile, dans le courrant de la longue nuit que je devait passer avec elles, de les faire consentir à des complaisances, dont les suites pouvaient devenir très décisives. Cette pensée me fit horreur. Je me suis imposé une loi sévère, et je n'ai pas douter de la force qu'il m'était nécessaire pour l'observer.

Je les voyais reparaître portant dans leur physionomie le caractère de la sécurité et du contentement, je me suis dans l'instant même donné le même vernis bien déterminé à ne plus m'exposer au feu des baisers.

Nous passâmes une heure à parler d'Angéla. Je leur ai dit que je me sentais déterminé à ne plus la voir, puisque j'étais convaincu qu'elle ne m'aimait pas. Elle vous aime, me dit la naïve Marton, et j'en suis sûre; mais si vous ne pensez pas à l'épouser, vous ferez fort bien de rompre avec elle tout à fait, car elle est décidé à ne vous accorder pas un seul baiser tant que vous ne serez pas amoureux: il faut donc la quitter, ou vous disposer à ne la trouver complaisante en rien.

- Vous raisonner comme un ange; mais comment pouvez-vous être sûre qu'elle m'aime?

- Très sûre. Dans l'amitié fraternelle que nous nous sommes promis, je peux sincèrement vous le dire. Quand Angéla couche avec nous, elle m'appelle, me couvrant de baisers, son cher abbé.

Nanette alors, éclatant de rire, lui mais une main sur la bouche; mais cette naïveté me mit tellement en feu, que j'ai eu la plus grande des peines à conserver ma contenance. Marton dit à Nanette qu'il était impossible, ayant beaucoup d'esprit, que j'ignorasse ce que deux filles bonnes amies faisaient quand elles couchaient ensemble.

- Sans doute, lui ajoutai-je, personne n'ignore ces bagatelles, et je ne crois pas, ma chère Nanette, que vous ayez trouvé dans cette confidence amicale votre soeur trop indiscrète.

- A présent c'est fait; mais ce sont des choses qu'on ne dit pas. Si Angéla le savait!...

- Elle serait au désespoir, je le sais bien; mais Marton m'a donné une telle marque d'amitié, que je lui serai reconnaissant jusqu'à la mort. C'en est fait. Je déteste Angéla; je ne lui parlerai plus. C'est une âme fausse; elle vise à mon précipice.

- Mais elle n'a pas trot, si elle vous aime, de vous désirer pour mari.

- D'accord, mais employant ce moyen, elle ne pense qu'à ses propres intérêts, et sachant ce que je souffre, elle ne peut procéder ainsi que ne l'aimant pas. En attendant par une fausse imagination monstrueuse elle soulage elle soulage ses désires brutaux sur avec cette charmant Marton qui veut bien lui servir de mari.

Les éclats de rire de Nanette redoublèrent alors; mais je n'ai pas quitté mon air sérieux, ni changé de style avec Marton faisant les plus pompeux éloges à sa sincérité.

Ce propos me faisait le plus grand plaisir, j'ai dit à Marton qu'Angéla à son tour devait lui servir de mari, et pour lors elle me dit en riant qu'elle n'était mari que de Nanette, et Nanette du en convenir.

Mais comment nomme-t-elle son mari, lui dis-je, dans ses transports?

- Personne n'en sait rien.

- Vous aimez donc quelqu'un, dis-je à Nanette.

- C'est vrai mais personne ne saura jamais mon secret.

Je me suis alors flatté que Nanette en secret pouvait être la rivale d'Angéla. Mais avec ces jolis propos j'ai perdu l'envie de passer la nuit sans rien faire avec ces deux filles qui étaient faites pour l'amour. Je leur ai dit que j'étais bien heureux d'avoir pour elle que des sentiments d'amitié, car sans cela je me trouverai fort embarrassé à passer la nuit avec elles sans leur des marques de ma tendresse, et d'en recevoir, car, leur dis-je d'un air très froid, vous êtes l'une et l'autre jolies à ravir, et faites pour faire tourner la tête à tout homme que vous mettrez à même de vous connaître à fond. Après avoir parlé ainsi, j'ai fait semblant d'avoir envie de dormir. Ne faites pas de façon, me dit Nanette, mettez-vous au lit: nous irons dormir dans l'autre chambre sur le canapé.

- Je me croirais, faisant cela, le plus lâche des hommes. Causons: l'envie de dormir me passera. Je suis seulement fâché à cause de vous. C'est vous qui désirez vous coucher; et c'est moi qui irai dans l'autre chambre. Si vous me craignez, enfermez-vous; mais vous auriez tort car je ne vous aime qu'avec les entrailles de frère.

- Nous ne ferons jamais cela, me dit Nanette, laissez-vous persuader, couchez-vous ici.

- Habillé, je ne peux pas dormir.

- Déshabillez-vous. Nous ne vous regarderons pas.

- Je ne crains pas cela: mais je ne pourrais jamais m'endormir vous voyant obligées à veiller à cause de moi.

- Nous nous coucherons aussi, me dit Marton, mais sans nous déshabiller.

- C'est une méfiance qui insulte ma probité. Dites-moi, Nanette, si vous me croyez honnête homme.

- Oui, certainement.

- Fort bien. Vous devez m'en convaincre? Vous devez vous coucher toutes les deux à mes côtés tout à fait déshabillées, et compter sur la parole d'honneur que je vous donne que je ne vous toucherai pas. Vous êtes deux, et je suis un: que pouvez-vous craindre? Ne serez vous pas les maîtresses de sortir du lit, si je cesse d'être sage? Bref, si vous ne me promettez pas de me donner cette marque de confiance du moins quand vous me verrez endormi, je n'irai pas me coucher.

J'ai alors cesser de parler faisant semblant de m'endormir: et elles se parlèrent tout bas; puis Marton me dit d'aller me coucher, et qu'elles en feraient de même quand elles me verraient endormi. Nanette me le promit aussi, et pour lors je leur ai tourné le dos, et après m'être entièrement déshabillé, je me suis mis au lit, et je leur ai souhaité la bonne nuit. J'ai d'abord fait semblant de dormir, mais un quart d'heure après, je me suis endormi tout de bon. Je ne me suis réveillé que quand elles vinrent se coucher; mais je me suis d'abord tourné pour reprendre mon sommeil, et j'ai commencé à agir que quand je me suis vu le maître de les croire endormies. Si elles ne dormaient pas, il ne tenait qu'à elles d'en faire semblant. Elles m'avaient tourné le dos, et nous étions à l'obscur. J'ai commencé par celle vers laquelle j'étais tourné ne savant pas si c'était Nanette ou Marton. Je l'ai trouvée accroupie, et enveloppée dans sa chemise, mais ne brusquait rien, et n'avançant l'entreprise qu'aux pas les plus petits elle se trouva convaincue que le meilleur parti qu'elle pût prendre était celui de faire semblant de dormir, et de me laisser faire. Peu à peu je l'ai développée, peu à peu elle se déploya, et peu à peu par des mouvements suivis, et très lents, mais merveilleusement bien d'après nature, elle se mit dans une position, dont elle n'aurait pu m'en offrir une autre plus agréable que se trahissant. J'ai entamé l'ouvrage, mais pour le rendre parfait, j'avais besoin qu'elle s'y prêtât de façon à ne plus pouvoir le désavouer, et la nature enfin l'obligea à s'y déterminer. J'avais trouvé la première exempte de doute, et ne pouvant pas douter non plus de la douleur qu'on avait dû endurer j'en fus surpris. En devoir de respecter religieusement un préjugé auquel je devais une jouissance dont je goûtais la douceur pour la première fois de ma vie, j'ai laissé la victime tranquille, et je me suis tourné de l'autre côté pour agir de même avec la soeur qui devait compter sur toute ma reconnaissance.

Je l'ai trouvé immobile dans la posture qu'on peut avoir quand on est couché sur le dos, dorment profondément, et sans aucune crainte. Avec les plus grands ménagements, et toute l'apparence de crainte de la réveiller j'ai commencé par flatter son âme m'assurant qu'elle était toute neuve comme sa soeur: et je n'ai différé à la traiter de même que jusqu'au moment qu'affectant un mouvement très naturel, et sans lequel il m'aurait été impossible de couronner l'oeuvre, elle m'aida à triompher; mais dans le moment de la crise, elle n'eut pas la force de poursuivre la fiction. Elle se démasqua en me serrant très étroitement entre ses bras, et collant sa bouche sur la mienne. Après le fait, je suis sûre, lui dis-je, que vous êtes Nanette.

- Oui, et je m'appelle heureuse, comme ma soeur, si vous êtes honnête, et constant.

- Jusqu'à la mort mes anges, tout ce que nous avons fait fut l'ouvrage de l'amour, et qu'il n'y ait plus question d'Angéla.

Je l'ai alors prié de se lever pour aller allumer des bougies, et ce fut Marton qui eut cette complaisance. Quand j'ai vu Nanette entre mes bras animée par le feu de l'amour, et Marton et Marton qui tenant une bougie nous regardait, et paraissait nous accuser d'ingratitude de ce que nous ne lui disons rien, tant qu'ayant été la première a se rendre a mes caresses, elle avait encouragé sa soeur à l'imiter, j'ai senti tout mon bonheur.

Levons nous, leur dis-je, pour nous jurer une amitié éternelle, et pour nous rafraîchir.

Nous fîmes tous les trois dans un baquet plein d'eau une toilette de mon invention qui nous fit rire, et qui renouvela tous nos désirs; puis dans le costume de l'ange d'or nous mangeâmes le reste de la langue, et vidâmes une autre bouteille. Après nous être dit cent choses, que dans l'ivresse de nos sens il n'est permis d'interpréter qu'à l'amour, nous nous recouchâmes, et nous passâmes dans des débats toujours diversifiés tout le reste de la nuit. Ce fût Nanette qui en fit la clôture. Mme Orio étant allée à la messe j'ai dû les quitter abrégeant tous les propos. Après leur avoir juré que je ne pensais plus à Angéla, je suis allé chez moi m'ensevelir dans le sommeil jusqu'à l'heure de dîner.

M. de Malipiero me trouva l’air joyeux et les yeux fatigués ; mais, discret, je lui laissai croire tout ce qu’il voulut sans lui rien dire. Le surlendemain je fis une visite à Mme Orio, et comme Angela n’y était pas, je restai à souper, et je me retirei en même temps que M. Rosa. Nanette pendant ma visite trouva le moment de me remettre une lettre et un petit paquet. Le paquet contenait un morceau de cure sur lequel était l’empreinte d’une clef, et le billet me disait de faire faire la clef et de m’en servir pour aller passer les nuits avec elles quand l’en aurais envie. Elle m’informait en outre qu’Angela avait été passer avec elles la nuit du lendemain, et que dans le habitudes où elle étaient elle avait deviné tout ce qui s’était passé ; qu’elles en étaient convenues en lui reprochant qu’elle en avait été la cause ; que là-dessus elle leur avait dit les plus fortes injures, promettant qu’elle ne remettrait plus les pieds chez elle, mais que cela leur était fort égal.

Quelques jours après la fortune nous délivra d’Angela ; son père, ayant été appelé à Vicence pour une couple d’années afin d’y peindre à fresco des appartements, l’emmena avec lui. Je me trouvai par son absence tranquille possesseur de ces deux charmantes filles, avec lesquelles je passai au moins deux nuits par semaine, n’introduisant facilement chez elles au moyen de la clef, que j’avais eu soin de faire faire.

in Histoire de ma vie, volume 1 chapitre V; G. Casanova

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